Depuis son origine en 1969,
l'Association des académiciens chrétiens a cherché à développer une pensée
théologique plus adéquate dans le domaine des relations de l'Eglise avec le
Judaïsme et avec le peuple juif. Poursuivant son travail pendant plus de trois
décennies sous divers parrainages, des membres de notre association de
biblistes, historiens et théologiens protestants et catholiques ont publié de
nombreux ouvrages sur les relations judéo-chrétiennes.
Notre travail a un contexte
historique. Pendant la plus grande partie des deux mille ans écoulés, les
Chrétiens ont représenté les Juifs comme infidèles, les rendant collectivement
responsables de la mort de Jésus et dès lors frappés de la malédiction divine.
En accord avec bien des déclarations chrétiennes officielles, nous rejetons
cette accusation comme historiquement fausse et théologiquement non valable.
Elle suggère que Dieu pourrait avoir récusé son alliance éternelle avec le
peuple juif. Nous reconnaissons dans la honte la souffrance que cette
représentation déformée a pu causer au peuple juif. Nous nous repentons pour
cet enseignement du mépris. Notre repentance nous demande d'élaborer un nouvel
enseignement du respect. Cette tâche est importante à tout moment, mais la
crise meurtrière au Moyen-Orient et la résurgence effrayante de l'antisémitisme
dans le monde entier lui confèrent une urgence particulière.
Nous croyons que réviser
l'enseignement chrétien à propos du Judaïsme et du peuple juif est une
obligation majeure et impérative de la théologie à notre époque. Il est
essentiel que la Chrétienté à la fois comprenne et se représente le Judaïsme
avec exactitude, pas seulement pour plus de justice à l'égard du peuple juif,
mais aussi pour l'intégrité de la foi chrétienne, que nous ne pouvons proclamer
sans nous référer au Judaïsme. Bien plus, à cause du lien unique entre le
Christianisme et le Judaïsme, rétablir la connaissance de la vie religieuse
juive contribue à l'approfondissement de notre foi chrétienne. Nous appuyons
ces convictions sur les recherches en cours des spécialistes et les
déclarations officielles qui ont été faites dans bien des dénominations
chrétiennes au cours des cinquante dernières années.
Nous sommes reconnaissants
pour la volonté de bien des Juifs de s'engager à nos côtés dans le dialogue et
l'étude. Nous avons particulièrement salué ces dispositions quand, le 10
septembre 2.000, des spécialistes juifs, parrainés par l'Institut des Etudes
chrétiennes et juives de Baltimore, ont publié un document historique, «Dabru
Emet: une Déclaration juive à propos des Chrétiens et du Christianisme.» Ce
document, accrédité par des rabbins de renom et des spécialistes juifs, appelle
les Juifs à réexaminer leur compréhension du Christianisme.
Encouragés par le travail de
collègues tant Juifs que Chrétiens, nous soumettons les dix propositions
suivantes à l'attention de nos sœurs et frères chrétiens. Nous demandons avec
insistance à tous les Chrétiens de repenser leur foi à la lumière de ces
propositions. Pour nous, il s'agit là d'une obligation sacrée.
Pendant des siècles, les
Chrétiens ont prétendu que leur alliance avec Dieu remplaçait ou supplantait
l'alliance avec le peuple juif. Nous renonçons à cette prétention. Nous croyons
que Dieu ne révoque pas les promesses qu'il a faites. Nous affirmons que Dieu
est en situation d'alliance aussi bien avec les Juifs qu'avec les Chrétiens.
Tragiquement, la théologie du rejet est puissamment ancrée et continue à
influencer la foi, le culte et les pratiques chrétiennes, même si elle a été
répudiée par de nombreuses dénominations chrétiennes et que beaucoup de
Chrétiens ne l'acceptent plus. Notre reconnaissance de la validité immuable du
Judaïsme a des implications dans tous les aspects de la vie chrétienne.
Les Chrétiens rendent leur
culte au Dieu d'Israël à travers de Jésus-Christ. La théologie du rejet a
pourtant amené les Chrétiens tout au travers des siècles à parler de Jésus
comme d'un opposant au Judaïsme. Ceci est historiquement incorrect. Ce sont le
culte, l'éthique et les pratiques du Judaïsme qui ont modelé la vie et
l'enseignement de Jésus. Ce sont les Ecritures de son peuple qui l'ont inspiré
et nourri. La prédication et la doctrine chrétienne doivent aujourd'hui décrire
la vie terrestre de Jésus comme engagée dans la quête permanente du Judaïsme :
exprimer l'alliance avec Dieu dans la vie quotidienne.
Bien que nous reconnaissions
aujourd'hui le Christianisme et le Judaïsme comme des religions séparées, ce
qui allait devenir l'Eglise procède d'un mouvement à l'intérieur de la
communauté juive. Celui-ci a subsisté pendant des décennies après le ministère
et la résurrection de Jésus. La destruction du Temple de Jérusalem par les
armées romaines l'an 70 du premier siècle a entraîné une crise profonde au sein
du peuple juif. Divers groupes, incluant aussi bien la Chrétienté que l'ancien
Judaïsme rabbinique, sont entrés alors en compétition pour la direction de la
communauté juive, en se prétendant les véritables héritiers de l'Israël
biblique. Les Evangiles reflètent cette rivalité dans laquelle les adversaires
échangèrent diverses accusations. Les griefs chrétiens d'hypocrisie et de
légalisme donnent une image tronquée du Judaïsme et constituent un fondement
sans valeur pour la compréhension du Christianisme.
Bien des Chrétiens commettent
l'erreur de considérer le Judaïsme comme équivalent à l'Israël biblique. En
réalité, tout comme le Christianisme, le Judaïsme, pendant les siècles qui ont
suivi la destruction du Temple, s'est engagé dans de nouveaux modes de pensée
et de pratique. La tradition rabbinique a mis l'accent sur les pratiques
existantes, telles que la prière communautaire, l'étude de la Torah et les
actes de bienfaisance, et elle leur a donné une nouvelle importance. Ainsi les
Juifs pouvaient exprimer l'Alliance dans un monde sans Temple. A mesure que le
temps passait, ils développèrent un vaste corpus de littérature interprétative
qui continue à enrichir la compréhension et les expressions de la vie et de la
foi juives. Les Chrétiens ne peuvent pleinement comprendre le Judaïsme sans
prendre en compte son développement post-biblique, lequel peut enrichir et
donner un élan nouveau à la foi chrétienne.
Certains Juifs et certains
Chrétiens, qui ont entrepris de nos jours une étude commune de la Bible,
découvrent de nouveaux modes de lecture qui suscitent une estime réciproque
plus grande de l'une et l'autre traditions. Alors que les deux communautés
tirent leur substance des mêmes textes bibliques de l'ancien Israël, elles ont
développé des traditions différentes d'interprétation. Les Chrétiens voient ces
textes dans l'optique du Nouveau Testament, alors que les Juifs les comprennent
au travers des traditions et des commentaires rabbiniques.
Se référer à la première
partie de la Bible chrétienne comme à «l'Ancien Testament» peut faussement
suggérer que ces textes sont devenus obsolètes. Les expression alternatives,
telles que la Bible hébraïque, «le Premier Testament» ou «le Testament commun»,
bien qu'elles soient aussi problématiques, peuvent mieux exprimer l'approche
renouvelée de l'Eglise quant à l' importance fondamentale de ces Ecritures,
tant pour les Juifs que pour les Chrétiens.
Les Chrétiens rencontrent la
puissance salvatrice de Dieu en la personne de Jésus-Christ, et ils croient que
cette puissance est accessible en lui pour tous les peuples. Les Chrétiens ont
dès lors enseigné depuis des siècles qu'on ne peut parvenir au salut qu'en
Jésus-Christ. En prenant conscience récemment que l'alliance divine avec le
peuple juif est éternelle, les Chrétiens peuvent maintenant admettre que la
puissance de rédemption divine est aussi à l'oeuvre dans la tradition juive. Si
les Juifs, qui ne partagent pas notre foi en Jésus-Christ, sont dans une
alliance de salut avec Dieu, alors les Chrétiens ont besoin de nouvelles
approches quant à la compréhension de la signification universelle du Christ.
En raison de notre conviction
que les Juifs sont au bénéfice d'une alliance éternelle avec Dieu, nous
renonçons aux efforts missionnaires visant à la conversion des Juifs. En même
temps, nous accueillons favorablement les occasions qui sont données aux Juifs
et aux Chrétiens de porter témoignage de leurs expériences respectives des
voies salvatrices de Dieu. Ni les uns ni les autres ne peuvent valablement
prétendre à une connaissance de Dieu entière ou exclusive.
Le Nouveau Testament contient
des passages qui ont fréquemment généré des attitudes négatives à l'égard des
Juifs et du Judaïsme. L'usage de ces textes dans le contexte du culte
intensifie l'hostilité à l'égard des Juifs. La théologie chrétienne anti-juive
a donné au culte des contours qui dénigrent le Judaïsme et qui entretiennent le
mépris à l'égard des Juifs. Nous exhortons les autorités ecclésiastiques à bien
examiner les lectures bibliques, les prières, la structure des lectionnaires,
la prédication et les chants pour les épurer des images déformées du Judaïsme.
Une liturgie chrétienne renouvelée exprimerait une relation nouvelle avec les
Juifs et donc honorerait Dieu.
Le pays d'Israël a toujours
été d'une signification capitale pour le peuple juif. Néanmoins, la théologie
chrétienne a prétendu rendre le peuple juif responsable de son errance à cause
du fait qu'il a rejeté le Messie de Dieu. Une telle forme de la théologie du
rejet a exclu toute possibilité de compréhension chrétienne de l'attachement
des Juifs à leur terre ancestrale. Les théologiens chrétiens ne peuvent plus
esquiver cette question cruciale, particulièrement à la lumière du conflit
complexe et persistant qui affecte le pays d'Israël. Reconnaissant le droit
tant des Israéliens que des Palestiniens à vivre en paix et dans la sécurité
dans un foyer national qui leur appartient en propre, nous en appelons à tous
les efforts possibles qui puissent contribuer à l'établissement d'une paix
juste entre les peuples de la région.
Depuis près d'un siècle, Juifs
et Chrétiens aux Etats-Unis ont collaboré à des oeuvres sociales importantes,
telles que les droits des travailleurs, et les droits civils. Alors que
s'intensifient à notre époque la violence et le terrorisme, nous devons
développer nos efforts communs pour réaliser les oeuvres de justice et de paix
auxquelles tant les prophètes d'Israël que Jésus nous ont exhortées. Ces
efforts communs consentis par les Juifs et les Chrétiens offriront une vision
renouvelée de la solidarité entre les hommes et fourniront des modèles de
collaboration entre les peuples qui ont d'autres traditions de foi.
Signé par des membres
de
l'Association des
Académiciens chrétiens sur les Relations judéo-chrétiennes
Dr. Norman Beck |
Dr. Mary C. Boys, SNJM |
Dr. Rosann Catalano |
Dr. Philip A.
Cunningham |
Dr. Celia Deutsch,
NDS |
Dr. Alice L. Eckardt |
Dr. Eugene J. Fisher |
Dr. Eva Fleischner |
Dr. Deirdre Good |
Dr. Walter Harrelson |
Rev. Michael
McGarry, CSP |
Dr. John C. Merkle |
Dr. John T.
Pawlikowski, OSM |
Dr. Peter A. Pettit |
Dr. Peter C. Phan |
Dr. Jean-Pierre Ruiz |
Dr. Franklin Sherman |
Dr. Joann Spillman |
Dr. John T. Townsend |
Dr. Joseph Tyson |
Dr. Clark M.
Williamson |
Les institutions
ci-dessus sont données seulement à titre d'identification. |