Pèlerinage du Pape Jean-Paul II en Terre sainte – mars 2000
Analyse du P. Desbois
+ quelques-uns des textes de Jean-Paul II
Le P. Patrick Desbois, secrétaire national du Comité épiscopal des relations avec le Judaïsme, présent en Terre sainte pendant toute la durée du pèlerinage de Jean-Paul II, vient d’analyser la couverture de cet événement par les médias locaux pour le SNOP, la Lettre d’information de la Conférences des Évêques de France. Sens remercie les responsables du SNOP de l’autoriser à reprend ici cette analyse.
Introduction
Jérusalem, Israël et la Palestine étaient en fièvre à la veille de la venue de Jean-Paul II. Dans la ville trois fois sainte, les rues étaient pavoisées aux triples couleurs de la municipalité de Jérusalem, du Vatican et d'Israël. La ville de Bethléem était non seulement ornée de guirlandes, de drapeaux du Vatican et de la Palestine, mais ses artères principales scintillaient d'illuminations comme en plein Noël. Chacun pressentait qu'il ne s'agissait pas d'abord d'accueillir un leader politique comme la région en voit passer si fréquemment. Il s'agissait d'abord d'un homme de Dieu qui venait à eux comme un messager de paix, d'une paix ancrée dans la foi. Le Pape ne venait pas en Terre sainte comme tant de leaders internationaux avec des apports commerciaux ; il venait seul, comme pèlerin du Christ désirant parcourir la géographie du Salut avec un message religieux dirigé vers le cœur des hommes.
Chacun retenait son souffle
Dans les radios locales, chacun faisait mémoire de la dernière visite du Pape, trente-six années auparavant. Plusieurs Palestiniens rappelaient comment dans leur enfance, en 1964, ils avaient accueilli avec joie le pape Paul VI, venu de Jordanie par le pont Allenby.
Chacun se hâtait d'étendre les dernières peintures, d'aménager tous les lieux où le Pape devait se rendre. Dans les paroisses catholiques, chacun se préparait, notamment les enfants, à mettre son plus beau vêtement pour accueillir celui qui pour eux était un soutien et une espérance. Le calme général était ponctué d'incidents qui, s'ils demeuraient sporadiques et isolés, n'en laissaient pas moins augurer tous les scénarios possibles. Quelques heures avant l'arrivée du Saint Père, des explosifs endommageaient l'héliport sur lequel le Pape devait arriver, les drapeaux de bienvenue ne cessaient d'être arrachés au mont des Oliviers, là où il devait dormir, et l'on venait d'effacer une grande inscription à quelques mètres de la délégation apostolique : « Quand tu passeras ici, tu seras mort. » Au Nord, quelques religieux avaient envoyé un rite de malédiction depuis la ville de Safed. II n'en fut rien. Tout au long du pèlerinage du Pape, tant les titres de la presse israélienne que ceux des journaux palestiniens ne tarissaient pas d'éloge. Mais plus profondément, ils permirent aux populations de s'ouvrir au mystère historique de cet événement sans précédent. Ils jouèrent un rôle important car ils donnèrent des clés de compréhension du voyage du Pape pour des populations qui ignoraient tout du Catholicisme contemporain et de la papauté.
Si le journal israélien rédigé en russe titrait sobrement : « Le Pape de Rome vient nous visiter », ce sont sans doute les expressions de Tom Segev dans le journal Haarets, l'équivalent du Monde, qui lança des expressions reprises par tous par la suite. En effet, le 24 mars, il écrivait : « Les gestes sont plus importants que les paroles. » Les radios israéliennes répétèrent fréquemment cette expression : « Nous attendions des paroles, nous avons reçu des actes ! » Par ailleurs, ce même journal, en couverture d'un tiré à part, comportait une grande photographie avec ce titre : « Ma mère et le Pape ». La photographie représentait le Pape en train de jouer au théâtre, jeune, avec une troupe de sa région, parmi lesquels une dame juive. Le texte de quatre pages raconte l'histoire de la famille du Pape, le décès de sa mère et la proximité de sa famille avec les voisins, notamment cette famille juive dont la fille israélienne témoigne aujourd'hui. Subitement, le Pape apparaissait en Israël comme ayant connu et respecté la vie des Polonais juifs. Les gestes qu'il allait faire seraient perçus dans la continuité d'une autre histoire, ailleurs, à Wadowice.
Le journal Maariv, journal le plus populaire en Israël, montra, lui, le visage d'une femme qu'il avait sauvée de la faim après l'avoir transportée sur son dos. Cette même femme, que l'on verra à Yad Vashem, en pleurs, dans les bras de Jean-Paul II. Dans ce journal, Haïm Ramon, ministre du gouvernement, déclarait : « La visite a mis fin à 2000 ans d'opposition entre Christianisme et Judaïsme. » Le journal Yediot Aharonot titrait, lui : « Le Pape à Yad Vashem est triste jusqu'aux profondeurs du cœur. » Dans la même édition, un Israélien interrogé dans la rue déclarait : « Il est venu pour réveiller l'humanité en nous tous, le Pape a touché mon cœur. » Enfin, le journal Hatsofeh, journal religieux écrivait : « La visite du Pape s'inscrit comme l'un des événements les plus importants de l'histoire de l'État juif. »
Le va-et-vient entre l'événement transmis en direct sur les télévisions et l'unanimité de la presse quant à la profondeur de la démarche du pape Jean-Paul II constitua lui aussi un événement non seulement historique mais bouleversant. Chacun alors, chaque jour, regardait, avec surprise et joie, les gestes du Pape.
Des gestes dans le silence
Le pèlerinage du Pape fut ponctué de plusieurs silences qui constituaient comme autant de temps de respiration dans un programme très chargé. Les médias eurent bien du mal à les transmettre. Pourtant, les silences du Pape furent souvent plus remarqués que ses discours.
En silence, le Pape demeura en prière trente-cinq longues minutes dans la grotte de la Nativité. C'était sans doute la première fois au Moyen-Orient, dans ce monde malmené par tant de paroles contradictoires, qu'un homme demeurait en silence trente-cinq minutes sous toutes les caméras du monde. D'abord agenouillé au lieu même de la naissance de Jésus, il demandera une chaise pour lire, dans la paix, son bréviaire comme le ferait un prêtre pèlerin. Dans ces espaces, le Pape imposait à tous un pèlerinage intérieur, ancré dans la foi au Christ. C'est en silence encore, plongé dans une profonde méditation, qu'on le verra immobile, dans l'hélicoptère qui l'emmenait au lieu du baptême de Jésus, près de Jéricho, alors que défilaient sous son regard les paysages du désert de Judée, habité par la mémoire de Jésus et de Jean-Baptiste.
C'est en silence enfin qu'il terminera son pèlerinage sur le Calvaire, lieu de la crucifixion, accompagné de quelques évêques, alors que son pèlerinage était officiellement terminé.
Des gestes de fraternité et d'émotion
À Yad Vashem, le Pape n'entra pas seul mais avec le Premier ministre Ehud Barak. C'est ensemble qu'ils feront leurs discours. Et si le Premier ministre semblait très ému au moment de le prononcer, tous les médias israéliens affirmèrent qu'ils avaient vu le Pape verser une larme. Chacun comprenait alors que l'on était situé au-delà des protocoles politiques ou diplomatiques. Il s'agissait d'hommes qui se rencontraient. Le Pape parla de sa jeunesse, et notamment, de ses nombreux amis juifs de Pologne, aujourd'hui disparus dans la tourmente de la Shoah. Puis il s'exprima en termes forts, comme évêque de Rome, successeur de Pierre. Ehud Barak rappela ses grands-parents morts à Treblinka, puis s'adressera au Pape, au nom de tous les habitants d'Israël et au nom des Juifs du monde entier.
La fraternité entre eux se manifesta dans l'émotion et dans une attention réciproque. Dès que le protocole officiel fut clos, les Israéliens juifs originaires de Wadowice, que le Pape avait invités, vinrent lui montrer une photographie, un souvenir, quelque chose qui demeurait de ce passé où le Pape et les Juifs vivaient ensemble, de ce passé aujourd'hui disparu. Les Israéliens découvraient alors que le Pape qui venait les rencontrer avait toujours été un homme de cœur et de justice qui avait su faire respecter la dignité de chacun. Une femme de soixante-neuf années arriva en pleurs. Elle se souvenait de lui, jeune prêtre. Il l'avait sauvée de la faim et de la soif et l'avait transportée sur trois kilomètres pour qu'elle échappe à la mort. Chacun comprenait alors que les gestes du Pape s'enracinaient en lui dans d'autres gestes qu'il avait su poser depuis sa jeunesse, des gestes de salut.
Ce soir là Tom Segev lançait à nouveau une phrase qui fera le tour du pays : « II est venu lui-même comme un rescapé de la Shoah. »
En Palestine, à la suite de sa visite, l'ensemble des médias palestiniens titraient : « Le Pape soutient la construction de notre pays ! » C'est en tenant la main du président Arafat qu'il entra dans les salons de la Présidence sous les acclamations de la foule. C'est encore à ses côtés qu'il entrera dans le camp palestinien. À Bethléem comme au Mur, le Pape ne venait pas seul, mais avec les représentants élus par le peuple. Le Pape nous engageait alors dans une démarche de fraternité concrète et croyante avec les autres dans le cadre de populations qui se sécularisent. Toujours proche des Églises palestinienne et israélienne très minoritaires, il invitait à ne pas avoir peur, mais aussi à ne pas rester seul afin d'entrer dans une démarche de fraternité pour que le message du Christ puisse rayonner.
Par ailleurs, conscient du caractère minoritaire de l'Église locale, il veilla à ne jamais dicter leur conduite à ceux qu'il rencontrait. Au contraire, en demeurant dans son pèlerinage, le Pape, frère de ceux qui cherchent à le devenir en Terre promise, est apparu dans la simplicité et l'audace humble des disciples du Christ.
Patrick DESBOIS
RENCONTRE DU PAPE
JEAN-PAUL II Jeudi, 23 Mars 2000 Monsieur le Président, Monsieur le Président, je vous suis très reconnaissant de l'accueil que vous m'avez réservé en Israël. Nous apportons tous deux une longue histoire à cette rencontre. Vous représentez la mémoire juive, qui va au-delà de l'histoire récente de cette terre jusqu'au voyage unique de son peuple à travers les siècles et les millénaires. Je viens en tant que personne dont la mémoire chrétienne remonte à deux mille ans, à la naissance de Jésus sur cette terre. Comme le disaient les anciens, l'histoire est Magistra vitae, maîtresse de vie. C'est pour cela que nous devons êtres décidés à guérir les blessures du passé, afin qu'elles ne s'ouvrent plus. Nous devons oeuvrer pour une nouvelle ère de réconciliation et de paix entre les juifs et les chrétiens. Ma visite constitue le signe que l'Eglise catholique fera tout son possible pour garantir que cela ne demeure pas seulement un rêve, mais une réalité. Nous savons que la paix véritable au Moyen-Orient ne pourra être que le résultat de la compréhension réciproque et du respect entre tous les peuples de la région : juifs, chrétiens, musulmans. Dans cette perspective, mon pèlerinage est un voyage d'espérance: l'espérance que le XXI siècle apporte une nouvelle solidarité entre les peuples du monde, dans la conviction que le développement, la justice et la paix ne pourront être atteints que s'ils s'obtiennent pour tous. Edifier un avenir plus lumineux pour la famille humaine est un devoir qui nous concerne tous. C'est pour cela que je suis heureux de vous saluer, Ministres du gouvernement, membres de la Knesset et représentants diplomatiques de nombreux pays, qui devez prendre et mettre en pratique des décisions qui influenceront la vie des peuples. Je souhaite ardemment qu'un authentique désir de paix inspire toutes vos décisions. Avec cette prière, j'invoque une abondance de Bénédictions divines sur Vous, Monsieur le Président, sur votre pays, ainsi que sur tous ceux qui m'ont honoré de leur présence. Merci.
VISITE DU PAPE JEAN
PAUL II Jeudi, 23 mars 2000
Les paroles de l'antique Psaume jaillissent de notre cœur : "Je suis devenu comme un objet de rebut. J'entends les calomnies des gens, terreur de tous les côtés! Ils se groupent à l'envi contre moi, complotant de m'ôter la vie. Et moi je m'assure en toi, Yahvé, je dis : "C'est toi mon Dieu!" (cf. Ps 31, 13-15). 1. Dans ce lieu de la mémoire, l'esprit, le coeur et l'âme ressentent un extrême besoin de silence. Un silence qui invite au souvenir. Un silence dans lequel chercher à donner un sens aux souvenirs qui reviennent de façon impétueuse. Un silence car il n'existe pas de paroles assez fortes pour déplorer la tragédie terrible de la Shoah. J'ai moi-même des souvenirs personnels de tout ce qui se produisit lorsque les Nazis occupèrent la Pologne au cours de la guerre. Je me rappelle de mes amis et mes voisins juifs, dont certains sont morts, alors que d'autres ont survécu. Je suis venu à Yad Vashem pour rendre hommage aux millions de Juifs qui, privés de tout, en particulier de leur dignité humaine, furent tués au cours de l'Holocauste. Plus d'un demi-siècle s'est écoulé, mais les souvenirs demeurent. Ici, comme à Auschwitz et dans de nombreux autres lieux en Europe, nous sommes écrasés par l'écho des gémissements déchirants de tant de personnes. Des hommes et des femmes nous expriment en criant de l'abîme l'horreur qu'ils ont connue. Comment pouvons-nous ne pas prêter attention à leur cri ? Personne ne peut oublier ou ignorer ce qui se passa. Personne ne peut diminuer son importance. 2. Nous voulons nous souvenir. Cependant, nous voulons le rappeler dans un but, c'est-à-dire pour s'assurer que jamais plus le mal ne prévaudra, comme ce fut le cas pour des millions de victimes innocentes du nazisme. Comment l'homme put-il éprouver un tel mépris pour l'homme ? Parce qu'il était arrivé au point de mépriser Dieu. Seule une idéologie sans Dieu pouvait programmer et mener à bien l'extermination de tout un peuple. L'hommage rendu aux "gentils justes" par l'Etat d'Israël à Yad Vashem pour avoir agi héroïquement afin de sauver des juifs, parfois en allant jusqu'à offrir leur propre vie, est la démonstration que, même à l'heure la plus sombre, toutes les lumières ne se sont pas éteintes. C'est pourquoi les Psaumes, et toute la Bible, bien qu'ils soient conscients de la capacité humaine d'accomplir le mal, proclament que ce ne sera pas le mal qui aura le dernier mot. Des abîmes de la souffrance et de la douleur, le coeur des croyants s'écrie : "Et moi, je m'assure en toi, Yahvé, je dis : "C'est toi mon Dieu" (Ps 31, 14). 3. Les juifs et les chrétiens partagent un immense patrimoine spirituel, qui découle de l'autorévélation de Dieu. Nos enseignements religieux et nos expériences spirituelles exigent de nous que nous vainquions le mal par le bien. Nous nous rappelons, mais sans aucun désir de vengeance, ni comme une incitation à la haine. Pour nous, nous souvenir signifie prier pour la paix et la justice et nous engager pour leur cause. Seul un monde en paix, où règne la justice pour tous, pourra éviter la répétition des horreurs et des terribles crimes du passé. En tant qu'Evêque de Rome et Successeur de l'Apôtre Pierre, j'assure le peuple juif que l'Eglise catholique, motivée par la loi évangélique de la vérité et de l'amour et non par des considérations politiques, est profondément attristée par la haine, les actes de persécution et les manifestations d'antisémitisme exprimées contre les juifs par des chrétiens en tous temps et en tous lieux. L'Eglise refuse toute forme de racisme comme une négation de l'image du Créateur intrinsèque à tout être humain (cf. Gn 1, 26). 4. En ce lieu de mémoire solennelle, je prie avec ferveur que notre douleur pour la tragédie qu'a souffert le peuple juif au XX siècle conduise à un nouveau rapport entre les chrétiens et les juifs. Construisons un avenir nouveau dans lequel il n'y ait plus de sentiments antijuifs parmi les chrétiens ou de sentiments antichrétiens parmi les juifs, mais plutôt le respect réciproque demandé à ceux qui adorent l'unique Créateur et Seigneur et qui considèrent Abraham comme notre Père commun dans la foi (cf. Nous nous souvenons : une réflexion sur la Shoah, V). Le monde doit prêter attention à l'avertissement qui provient des victimes de l'Holocauste et du témoignage des survivants. Ici, à Yad Vashem, la mémoire est vivante et vit dans notre âme. Elle nous fait nous écrier : "J'entends les calomnies des gens, terreur de tous les côtés! [...] Et moi, je m'assure en toi, Yahvé, je dis : "C'est toi mon Dieu" (Ps 31, 13-15).
PRIÈRE DU PAPE JEAN PAUL II
Dimanche, 26 mars 2000
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