Pour une meilleure traduction du terme « HOI IOUDAIOI » - « LES JUIFS » dans l’Evangile de Jean
Pour tous ceux qui font une lecture liturgique ou une lecture publique de ces textes.
A. Pourquoi améliorer cette traduction (Extrait de "Eglise de Besançon" mars 2004)
C. Une étude comparative (publiée dans la revue "Sens")
Extraits de « Eglise de Besançon » N°6 - Mars 2004
De l’Amitié Judéo-Chrétienne de France :
Propositions pour le lectionnaire de l'évangile de Jean.
La traduction du terme « les juifs », « HOI IOUDAIOI », dans le Nouveau Testament, spécialement dans l'évangile de Jean, pose un problème important, car la lecture naïve des récits, notamment ceux de la Passion, peut encourager une tradition d'anti-judaïsme. En effet, le terme a quatre sens :
- géographique : les habitants de Jérusalem et de la province de Judée,
- politique : le peuple et les dirigeants du régime politico-religieux en place à l'époque,
- religieux : les adeptes de la religion juive,
- ethnique : ceux qui sont membres de ce peuple par filiation.
A l'époque de la rédaction des évangiles, les gens avaient accès aux quatre sens du mot ; dans notre culture actuelle, au contraire, nous ne percevons plus que les deux derniers. D'où une apparence de fidélité au texte si l'on traduit toujours de la même façon « HOI IOUDAIOI » par « les juifs » ; mais en réalité une infidélité au sens du texte.
Il faut donc différencier les traductions. C'est ce à quoi se sont employés, à la demande des Amitiés judéo-chrétiennes de France, des biblistes de toutes confessions, et ils aboutissent aux propositions ci-contre. Notons que les passages évangélique concernés sont d'une part le récit de la Passion (Vendredi Saint), d'autre part les passages johanniques des dimanches de l'année A qui sont utilisés -quelle que soit l'année- pour les dimanches des scrutins des catéchumènes : l'aveugle-né, la samaritaine, Lazare.
Il est donc temps d'annoter vos évangéliaires liturgiques.
Dominique Banet, délégué diocésain pour l'œcuménisme et le Dialogue avec les Juifs
Propositions de l'A.J.C.F. pour le lectionnaire de l'Evangile de Jean
(Lorsque la traduction proposée est différente de celle du lectionnaire catholique,
elle est indiquée en caractères gras italiques et soulignés.)
· 1,19 : lorsque les autorités juives envoyèrent de Jérusalem des prêtres et des lévites pour demander à Jean "Qui es-tu?"
· 2.6 : destinées aux ablutions rituelles des juifs.
· 2,13 : La fête juive de la Pâque était proche
· 2,18 : Alors des chefs juifs disent à Jésus : "Fais un signe extraordinaire devant nous. Ainsi tu nous prouveras que tu as le droit de faire cela"
· 2,20 : Ils lui disent "On a mis 46 ans..."
· 4,9 : les juifs, en effet, n’ont pas de relations avec les Samaritains.
· 4,22 : "Vous, les Samaritains vous adorez ce que vous ne connaissez pas. Nous les Juifs, nous adorons ce que nous connaissons. En effet, le salut que Dieu donne vient des Juifs."
· 6,41 : Des juifs critiquent Jésus (ou : Parmi les Juifs, on murmurait …)
· 6,52 : Les juifs discutaient entre eux
· 9,18 : Mais les chefs juifs ne veulent pas croire que cet homme était aveugle
· 9,22 : Les parents disent cela parce qu'ils ont peur des chefs juifs. En effet ceux-ci se sont déjà mis d'accord …
· 11,8 : "Tout récemment encore, les (des) habitants de la Judée (ou les (des) Judéens) cherchaient à te lapider"
· 11,19 ; 31 ; 33 ; 36 ; 45 : les Juifs
· 18,12 : Alors la troupe des soldats (romains), leur commandant et les gardes des chefs juifs arrêtent Jésus et ils l'attachent avec des cordes.
· 18,14 : C'est Caïphe qui a donné ce conseil aux chefs juifs
· 18,31 : Les chefs juifs lui répondent : "nous n'avons pas l'autorisation de faire mourir quelqu'un"
· 18,33 : « Es-tu le roi des Juifs ?
· 18,36 : Si mon royaume appartenait à ce monde, mes serviteurs auraient lutté pour empêcher qu'on me livre aux autorités juives.
· 18,39 : « Voulez-vous que je vous relâche le roi des Juifs ? »
· 19,3 : « Honneur à toi, roi des Juifs ! »
· 19,7 : La foule lui répond : "nous avons une loi et d'après cette loi, il doit mourir,"
· 19,12 : Mais la foule se met à crier : "Si tu libères cet homme, tu n'es pas un ami de l'empereur"
· 19,14-15 : Pilate dit aux Juifs présents : "Voici votre roi."
· 19,19 : « Jésus le Nazoréen, roi des Juifs ».
· 19,20 : Beaucoup de Juifs lurent cet écriteau
· 19, 21 : Les chefs des prêtres disent à Pilate "Ne laisse pas ce qui est écrit : ‘le roi des Juifs’ Mais fais écrire : ‘cet homme a dit : je suis le roi des Juifs’."
· 19,31 : Les chefs juifs ne veulent pas que les corps restent sur les croix pendant le shabbat.
· 19,38 : Joseph était un disciple de Jésus, mais en secret parce qu'il avait peur des autorités juives
· 20,19 : ils avaient fermé les portes à clé, car ils craignaient les autorités juives.
Extrait de « SENS », la revue de l’Amitié Judéo-Chrétienne de France
56ème année, nouvelle série n° 284
Étude comparative des traductions du terme original grec «HOI IOUDAIOI» (« Les Juifs » ou «Les Judéens») dans les principales versions françaises de l'Évangile de Jean.
Propositions de la commission de l'A.J.C.F. pour les textes liturgiques.
Membres de la Commission : Pasteur Michel LEPLAY (Président), Paul THIBAUD (Président de I'A.J.-C.F.), François LEROSSIGNOL (Responsable du Groupe du Val-de-Marne), Claude ELBAZ et Michel STERNBERG (Responsables du Groupe de la Banlieue Sud de Paris).
1. La comparaison des traductions (voir pages 40 à 63) :
Nous avons pris comme traduction de référence celle du Lectionnaire catholique (1966), en nous limitant aux passages lus les dimanches et jours de fête, et particulièrement pendant la Semaine Sainte (voir la communication de Jean-Claude Eslin).
Nous avons comparé il traductions françaises la Bible de Jérusalem (1955) qui est très proche du texte du Lectionnaire catholique, la Nouvelle Bible de Jérusalem (2001), la Bible en Français Courant (1992), la Traduction oecuménique de la Bible - TOB. (1988), la Nouvelle Traduction de la Bible Bayard (2001), les Évangiles de Tresmontant (1991), la Nouvelle Bible Segond (2002), la Bible Darby (1885), la Bible en Français Fondamental (2000), la Bible Oltramare (réédition de 1998) et la Bible Chouraqui (1984).
La traduction du terme original grec « hoi ioudaioi » est indiquée en caractères gras à chaque occurrence dans l'Évangile de Jean. Lorsque la traduction est différente de celle du lectionnaire catholique, elle est indiquée en caractères gras italiques et soulignés.
En ce qui concerne la Bible de Jérusalem (1955), dont le texte du Lectionnaire catholique est très proche, pratiquement identique, il n'y aucune différence de traduction du terme les Juifs. Nous avons figuré en caractères italiques les très rares différences entre les deux textes. Nous avons fait de même pour le texte de la Nouvelle Bible de Jérusalem (2001), placé à côté. Nous n'avons pas trouvé non plus de traductions différentes du terme les Juifs dans la TOB (1988), la Nouvelle Bible Segond (2002), la Bible Darby (1885), la Bible Oltramare (réédition de 1998).
Par contre, la Bible en Français Courant (1992) et surtout la Bible en Français Fondamental (2000) nous ont réservé de bonnes surprises par leurs traductions nouvelles : les autorités juives, les chefs juifs, la foule, des juifs, reprises dans certains cas par la Nouvelle Traduction de la Bible Bayard (2001). Cependant les traductions restent non satisfaisantes dans les passages VI 41 et 52 (sauf pour la Bible Bayard qui nuance : "des Juifs ont murmuré contre lui", au lieu de "les Juifs") et surtout XIX 14,15 (Pilate dit aux Juifs "Voici votre roi". Eux disaient "A mort, à mort, crucifiez-le").
On peut placer à part les traductions particulières systématiques de Tresmontant ("les Judéens") et de Chouraqui ("les Iehoudîm").
2. Les propositions de la Commission (voir pages 47 ; 55 ; 63) :
Les propositions de la Commission de l'A.J.-C.F. ont fait l'objet de discussions et d'un choix parfois difficile entre plusieurs suggestions.
Les pièges à éviter (Paul Thibaud) :
- le terme globalisant "les Juifs",
- l'insistance à revenir sur ce même terme "les Juifs",
- la non reconnaissance de Jésus et des apôtres comme juifs.
Les critères à retenir (Michel Leplay) :
- rester le plus fidèle possible au texte,
- présenter la traduction la plus accessible au public assistant aux liturgies,
- écarter les malentendus.
Certains termes ont été proposés par des membres de la commission :
- "judéens", avec son sens premier, non limité au caractère géographique, signifiant fils d'Israël originaire de Judée (Claude Elbaz et Michel Sternberg ; voir l'article de Claude Elbaz). Il correspond à la situation du 1er siècle, mieux que les "Juifs" à connotation plus internationale et moderne. Il a l'avantage d'être fidèle au texte : aucun ajout. A ces arguments, Michel Leplay et Paul Thibaud répondent que l'acception actuelle est essentiellement géographique ; de plus, pour beaucoup de lecteurs et auditeurs, le terme est étranger. En Xl, 8, où la nuance géographique est évidente, ils proposent plutôt : "habitant de Judée", ce qui est adopté.
- les "Juifs présents" (Paul Thibaud). Avantage : évite la globalisation. Inconvénient : pléonasme et ajout au texte. Néanmoins cette proposition est retenue, car les mauvaises interprétations du terme sec "les Juifs" pendant des siècles sont pires que tout.
Finalement, la commission a retenu un certain nombre de traductions proposées déjà par la Bible en Français Fondamental ou la Bible en Français Courant ou la Nouvelle Traduction de la Bible Bayard: "les autorités juives", "les chefs juifs", "la foule", "des Juifs".
Cependant les traductions restent non satisfaisantes dans plusieurs passages du lectionnaire:
- passages VI 41 et 52 (sauf pour la Bible Bayard qui nuance : "des Juifs ont murmuré contre lui"). Cette dernière traduction est retenue, avec une alternative : "parmi les Juifs on murmurait contre lui".
- en XI, 8, où la nuance géographique est évidente, la commission propose plutôt: "habitant de Judée"
- et surtout XIX 14,15 (Pilate dit aux Juifs "Voici votre roi". Eux disaient "A mort, à mort, crucifiez-le"). Ici, la commission propose plutôt : les "Juifs présents".
Pour conclure, la commission souligne l'urgence d'adopter pour les liturgies les nouvelles traductions du terme « hoi ioudaioi » permettant d'emblée une bonne interprétation du mot. La solution consistant à confier à l'homélie, suivant la proclamation du texte évangélique, le soin de préciser la bonne interprétation paraît illusoire inconstante, surtout trop tardive, « le mal est fait » déjà en cours de lecture.
Présentation et Commentaires : Michel STERNBERG
Revue A.J.C.F « Sens » p. 37 - 39.